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1Monsieur, estant arrivé en ce lieu de mon retour de Levant et ne
2pouvant pour cestheure vous aller baiser les mains comme
3je desirerois et que le debvoir m’y oblige, parce que
4j’ay commandement exprès qui me fust faict lhorsque je
5feuz deslivré d’aller treuver sa magesté pour me rendre
6à luy de la part du Grand Seigneur, je n’ay voullu failhir,
7monsieur, vous escripre ce mot pour vous remercier de
8tant de faveurs et honneurs qu’il vous a pleu me
9prouchasser, vous suppliant, monsieur, de croire qu’il n’y
10aura jamais gentilhomme en France qui vous soit plus
11serviteur que moy, ny que de meilheur cœur vous face
12service, lhorsqu’il vous plairra de me commander.
13Je laissey à l’armée du Turc monsieur le chevallier
14de Claveisson, le XXVIe de juing ; estant arrivé en
15Constantinople, le penultiesme dudit, je fus mis en
16liberté le deuxiesme de julliet ; je solliciteys pour ledit
17sieur chevallier monsieur l’evesque d’Actz, ambassadeur
18pour sa magesté, tant qu’il alla parler à Marmet Baschas,
19luy remonstrant comme Lochielly avoit detenu ledit
20chevallier, le priant bien fort que, puisque le Grand
21Seigneur en avoit faict présent à ung si grand roy comme
22est sa magesté qu’il commandast le faire venir en Constantinople,
23ce que fust faict incontinant ; et espère, Dieu aidant, qu’il
24pays de retour. J’ay entendu que en ce païs on disoit
26que quelcung de mes compagnons s’estoit renyé.
27Monsieur, je vous puis asseurer que jamais n’y
28[v°] a heu chevallier qui ayt pencé à faire si grand faulte, mais
29les ay tous cogneus si chretiens que premier que de s’oblier
30jusques là, ilz endureront la mort. Je lairrey ce
31propos, monsieur, pour vous dire que l’armée turquesque
32est de deux centz vingt trois gallères et XXVII galliottes.
33J’en ay conté cent XXXIX qui estoient à l’armée de Lochielly
34et cinq galliasses, lesquelles galliasses estoient fort
35bien armées : sur checune avoit trois centz hommes de
36combat et vingt grosses pièces de bronze. Les gallères
37estoient mal armées et n’y avoit presque point de
38mariniers, combien que j’aie veu à Constantinoble de
39trois à quatre centz carmocellis, desquelz lesdit Ochielly
40avoit prins les meilhieurs mariniers. Il partist
41le XXVIe de juing avec son armée pour aller espalmer,
42assir et se joindre avec Cargely qui avoient le
43surplus de vaisseaulx jusques audit nombre de deux centz
44cinquante, entre lesquelles il y en avoit environ huictante
45qui n’avoient point des canons. Ladite armée turquesque
46et celle de la Ligue se sont descouvertes le XVIIIe
47du moys passé de sy près que le seigneur Marc
48Anthoine Collonne feist mettre en batailhe son armée,
49de laquelle il feist trois esquadrons. Lochielly fist
50de mesmes et faisoient si bonne mine d’ung costé
51et d’aultre que chascung jugeoit qu’on donrroit la
52batailhe. L’esquadron de main gauche du seigneur
53Marc Anthoyne allast pour investir celluy que luy
54estoit par front de l’armée turquesque et s’approcharent
55si près, que cellon les nouvelles que en a heu son
56[318] Altesse à qui je fus baiser les mains à Turin,
57se tirarent canonades les ungs aux aultres,
58et par la relation qu’a faict despuis ung de
59Marceille s’estant sauvé de ladite armée, l’on mit
60à fonds deux ou trois gallères turquesques, le
61reste dudit esquadron se retira à la batailhe,
62les nostres ne luy purent donner chasse à cause
63des nautz que remorquions et aussi que le vent
64leur estoit contraire, de sorte que les nostres se
65retirarent à Ogentes où ilz heurent nouvelles que
66le seigneur Dont Jehan d’Austria estoit à Corefoud
67avec cinquante gallères, ilz se devoient partir
68pour se joindre tous ensemble. Je prie Dieu qu’ilz
69puissent faire quelque chose de bon pour sa magesté
70et du christianisme, mais pour ceste année, je crois
71que si à ceste heure ilz nont faict quelque chose,
72ilz seront contrainctz de se retirer à cause de l’hyver.
73Et en cest endroict, je ferey fin, après avoir supplié
74le Createur,
75Monsieur, vous donner en parfaicte santé très heureuse et
76très longue vie. D’Ambrun, ce XXVe septembre 1572.
77Vostre très humble et plus hobligé serviteur
78Le chevalier de Voguedemar
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